Editorial - Juin 2020 - n° 218
Patrick Sichère
Patrick Sichère
rhumatologue, dépisteur, à l’hôpital Delafontaine, Saint-Denis, 93.
Au moment où je vous écris, la salle de dépistage du Covid-19 de l’hôpital Delafontaine, à Saint- Denis, ferme. Définitivement, nous l’espérons. Pendant des semaines, Djamila B., dermatologue, et moi, rhumatologue, avons accueilli, interrogé, testé, puis prélevé, pour certains grâce à nos collègues ORL, principalement le personnel médical et paramédical de l’hôpital et des Epahd environnants. Au-dessus du masque, on devinait le regard de l’angoisse, de la souffrance, parfois des pleurs.
À présent, quand nous nous croisons, toujours masqués, le clin d’oeil est complice, voire rieur, pour signifier : le virus ravageur ne nous a pas encore tués !
Et pourtant, Djamila, la dermatologue, en a bien été infectée. J’avoue que, en l’entendant tousser, j’aurais peut-être préféré la savoir se reposer chez elle. Mais elle a résisté au confinement et continué à dépister avec moi. Il faut dire que, veuve à 50 ans, se retrouver chez soi en ces circonstances pesantes, malgré deux grands enfants, pouvait suffire à justifier une telle décision. Je n’ai pas insisté.
De mon côté, inquiétude et appréhension occupaient mon esprit. Reviendrais-je un jour de l’hôpital en rapportant ce virus chez moi, pour en contaminer mon épouse, puis moi-même ? Au risque de nous retrouver au mieux, tous deux, en chambre double dans ce même hôpital, sinon en salle de réanimation ou de réveil en raison de l’aggravation de notre cas ? Salles transformées en mouroirs grâce au Covid-19. Si on réchappait de la réanimation, nos collègues nous avais appris qu’une semaine de passage chez eux impliquait autant de temps de récupération. Et comme l’hospitalisation durait au moins 3 semaines, 3 mois n'étaient pas de trop pour espérer reprendre une vie normale ou presque. Quant à la salle de réveil, j’entends encore une infirmière me dire que, à l’acmé de la crise, personne n’en ressortait vivant. Réanimation, réveil : oxymores. Oxygène, mort.
Envahis par de telles pensées, avec celle qui partage ma vie, nous n’osions plus nous enlacer, encore moins nous embrasser. Même à table, pour les repas, je me tenais éloigné. Je me revois désinfecter les poignées de portes, envisager de faire chambre à part, comme d’autres l’ont fait. Mais le virus n’a pas osé s’imposer, semble-t-il. Des années de complicité l’aurait-il fait se détourner ? Prudence, une telle réflexion pourrait passer pour prétentieuse, sinon provocatrice, et lui faire rebrousser chemin.
Ces semaines de dépistage du milieu médical m'ont aussi permis de prendre conscience du grand nombre de soignants ou aides-soignants, auxiliaires de vie, venus de pays tellement éloignés. De Mauritanie, du Cameroun, du Congo, du Mali, de régions du Maghreb ou d’Europe, et j’en oublie, presque tous sont restés fidèles à leur poste, ou orientés vers une autre fonction devenue prioritaire, parfois inconnue ou encore plus à risque de contagion. Sans ce peuple venu d’ailleurs et fidèle à notre pays, la France aurait payé un bien plus large tribut à cette pandémie.
Aujourd’hui, l’hôpital panse ses plaies, se réadapte à une vie qui sera différente de celle vécue avant l’épidémie. Pourvu que les autorités administratives comprennent combien, sans le personnel soignant, il ne peut y avoir d’assistance publique ! Et que les Français aient enfin le goût de la prévention !
Liens d’intérêts : aucun