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RéfleXions Rhumatologiques la revue

Editorial - Février 2019 - n° 206

Éric Toussirot

 Inhibiteurs du check-point immunitaire en oncologie : des progrès considérables pour le traitement des cancers, mais des armes à double tranchants sur le plan immunitaire
Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années dans la prise en charge de certains cancers, qu’ils soient à un stade avancé ou métastatique. L’immunothérapie des cancers n’est cependant pas une piste nouvelle (cf par exemple l’utilisation des LAK [lymphokine activated killers] et des TIL [tumor inflitrating lymphocytes] et de l’IL2 dans certains cancers il y a déjà une trentaine d’années). Cette immunothérapie, telle qu’elle est développée actuellement, utilise le système immunitaire de l’individu pour cibler les cellules tumorales en essayant de restaurer/stimuler une réponse immunitaire spécifique des antigènes tumoraux. Ces immunothérapies comportent de façon non exhaustive des thérapies cellulaires par transfert adoptif, la vaccination antitumorale, ainsi que des anticorps monoclonaux au même titre que nos immunothérapies anticytokiniques. Les thérapies cellulaires visent à récupérer les cellules immunitaires du patient ainsi que celles qui infiltrent les tumeurs avec une étape d’expansion ex vivo pour ensuite les réadministrer. Une approche en plein essor actuellement est l’utilisation des CART cells (Chimeric Antigen Receptor) qui correspondent à des lymphocytes T modifiés génétiquement pour reconnaître des cellules cancéreuses. Un exemple est le CART cell qui reconnaît spécifiquement un antigène exprimé dans la leucémie aiguë lymphoblastique, CD19. D’autres approches de thérapies cellulaires sont exploitées (utilisation de cellules NK, cellules dendritiques ou lymphocytes T cytotoxiques). La vaccination antitumorale a pour but de stimuler le système immunitaire visàvis de certains antigènes tumoraux spécifiques (exemple de la vaccination antitélomérase actuellement en cours d’évaluation : « universal cancer peptidebased vaccination in metastatic NSCLCUCP Vax » ; ClinicalTrials.gov NCT02818426).

Mais une approche qui a fait ses preuves ces dernières années est certainement l’utilisation d’anticorps monoclonaux pour cibler les molécules qui interviennent dans la régulation de l’activation/inhibition lymphocytaire cad les voies de costimulation. Les rhumatologues sont familiers avec l’activation lymphocytaire et de certaines voies de costimulation, puisqu’ils utilisent en pratique courante un inhibiteur des voies de costimulation, l’abatacept dans la polyarthrite rhumatoïde. Si cette approche thérapeutique (blocage de la costimulation) n’a pas connu dans le domaine des maladies inflammatoires chroniques, un essor comparable à celui du blocage des cytokines (exemple des antiTNFα qui partagent jusqu’à 10 indications pour certaines molécules), en revanche cette stratégie thérapeutique est en train de modifier profondément la prise en charge des patients atteints de cancers.

Il existe plusieurs voies de costimulation à côté de la voie CD28/CD8086 et CTLA4 (Cytotoxic Tlymphocyte Antigen4) que nous connaissons bien. Le terme utilisé dans la littérature anglosaxonne est celui de checkpoint immunitaire. Certaines voies sont activatrices de l’activation lymphocytaire comme CD28, CD40, OX40 et GITR, d’autres inhibitrices : CTLA4, LAG3, TIM3 et PD1. Ces voies font l’objet d’un ciblage en oncologie et les molécules d’intérêt qui ont abouti à la mise à disposition des inhibiteurs du checkpoint (ICI) sur le marché sont CTLA4, PD1 (Programmed cell Death1) et son ligand PDL1 (Programmed cell Death Ligand1). Le principe qui est utilisé en oncologie est de bloquer une voie inhibitrice de régulation et donc de restaurer une réponse lymphocytaire antitumorale (Figure 1).


Figure 1
: Interaction entre la cellule présentatrice d’antigènes, le lymphocyte T et interaction lymphocyte T – cellule tumorale. L’activation lymphocytaire met en jeu la reconnaissance antigénique mais également des interactions de plusieurs voies de costimulation. Certaines sont activatrices (en vert, exemple de CD28/ CD8086), d’autres inhibitrices (en rouge, exemple de CD28 /CTLA4 et PD1/ PDL1ou PDL2). L’immunothérapie des cancers par utilisation des inhibiteurs du checkpoint vise à neutraliser les interactions entre les molécules induisant un signal négatif pour restaurer une réponse lymphocytaire T dirigée contre les antigènes tumoraux (TcR : récepteur lymphocytaire T ; CTLA4 : cytotoxic T lymphocyte antigen4 ; PDL1 : programmed cell death1 ; PDL1ou L2 : programmed cell death ligand –L1 ou L2).

Ainsi, plusieurs molécules ont connu un développement d’abord dans le mélanome, puis dans d’autres formes de cancers, comme le cancer bronchique non à petites cellules et le cancer du rein, et ce à un stade avancé ou métastatique, pour ne citer que les principales indications.

Il faut ainsi distinguer les ICI ciblant CTLA4 (ipilimumab), ceux ciblant PD1 (nivolumab et pembrolizumab) de ceux ciblant PDL1 (atezolizumab, avelumab et durvalumab)(Tableau 1 et Figure 1). Certains produits sont sur le marché depuis 2011 (ipilimumab), d’autres de mise à disposition plus récente.


Tableau 1
: Inhibiteurs du checkpoint immunitaire utilisés en oncologie

Ce dossier thématique de RéfleXions Rhumatologiques est donc consacré à cette classe pharmacologique de biothérapie et leurs effets secondaires qui nous concernent plus particulièrement. Emeline Orillard et Elsa Curtit, oncologues au CHU de Besançon, font le point sur ces différentes molécules, leurs cibles, propriétés biologiques ainsi que leurs indications qui découlent des essais cliniques réalisés dans différentes formes de cancers.

La manipulation du système immunitaire entraîne certaines conséquences et nous connaissons cela à travers certains effets paradoxaux que nous observons notamment avec les antiTNFα. Avec les ICI, le blocage des voies inhibitrices est associé à une rupture d’équilibre du système immunitaire, ce qui ouvre ainsi la porte à l’activation de ce système, une rupture de tolérance et donc à des phénomènes d’autoimmunité. Ces effets secondaires sont largement rapportés depuis maintenant 3 à 4 ans, mais ils ont été d’emblée décrits lors des essais cliniques sous le terme de immunerelated adverse events (irAEs). Ils intéressent différentes spécialités, dont la rhumatologie (1,2).

Un article de ce dossier (Eric Toussirot, CHU Besançon) est donc consacré aux irAEs observés avec les différents ICI, les rhumatologues étant d’ors et déjà confrontés à ce phénomène.

Enfin, une conduite à tenir face à ces irAEs commence à se dégager dans la littérature sur le plan international. Le pronostic du cancer étant modifié, il est donc attendu que ces molécules (celles disponibles actuellement et celles en développement) auront une utilisation croissante et donc au prix de ces irAEs. Les cliniciens seront donc certainement de plus en plus confrontés à cette question. Un groupe de travail en France a rédigé des recommandations sous l’égide du Club Rhumatismes et Inflammation (Le CRI) pour la conduite à tenir devant la survenue d’un irAE chez un patient traité par un ICI. Marie Kostine, rhumatologue au CHU Bordeaux, reprend les différentes lignes directives face à ces évènements de type irAEs.

Si l’immunothérapie des cancers est plein essor, elle soulève de multiples questions d’ordre stratégique qui sont en cours d’évaluation/réflexion chez les oncologues. Les cliniciens d’organe, qu’ils soient endocrinologues, gastroentérologues, internistes ou rhumatologues doivent actualiser leurs connaissances sur cette classe pharmacologique pour dépister/ diagnostiquer les irAEs et connaître également la conduite à tenir devant ces évènements indésirables en étroite collaboration avec l’oncologue référent, au même titre que nous réfléchissons de concert lors de la survenue d’un cancer chez un patient sous une biothérapie antiinflammatoire. Ces données sont sujettes à évolution compte tenu du succès thérapeutique et de l’utilisation croissante de la classe des ICI.

Liens d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec la rédaction de cet article

Références

1. Myers G. Immune related adverse events of immune check-point inhibitors : a brief review. Curr Oncol 2018 ; 5 : 342- 7.
2. Postow MA, Sidlow R, Hellmann MD. Immune –related adverse events associated with immune check-point blockade. N Engl J Med, 2018; 378: 158-68.