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RéfleXions Rhumatologiques la revue

Editorial - Octobre 2020 - n° 220

Éric Toussirot

Éric Toussirot
INSERM CIC-1431, CHU de Besançon, Centre d’Investigation Clinique Biothérapie, Pôle Recherche, Besançon.
Fédération Hospitalo-Universitaire INCREASE, CHU de Besançon.
CHU de Besançon, Rhumatologie, Pôle PACTE (Pathologies Aiguës Chroniques Transplantation Éducation), Besançon.
Université de Bourgogne-Franche-Comté, Département Universitaire de Thérapeutique.
INSERM UMR1098 « Relations Hôte Greffon Tumeurs, ingénierie cellulaire et génique »,
université de Bourgogne-Franche-Comté, Besançon.

La pré-polyarthrite rhumatoïde : du concept physiopathologique vers des perspectives de traitement préventif


La polyarthrite rhumatoïde (PR) est un rhumatisme inflammatoire d’évolution chronique responsable de destructions articulaires et d’un handicap fonctionnel. Des avancées considérables ont été réalisées dans la PR tant sur le plan physiopathologique que thérapeutique.
Nous sommes capables désormais d’établir un diagnostic le plus précocement possible, sous réserve que le patient soit adressé au spécialiste rhumatologue dès les premiers mois de la symptomatologie, mais aussi de contrôler l’évolution de la maladie avec les armes thérapeutiques dont nous disposons et du fait de nos paradigmes de traitement que sont le treat to target et la cible tournée vers la rémission. Il est également bien établi que la prise en charge avec l’instauration du traitement le plus tôt possible est le garant d’une évolution favorable, avec un meilleur contrôle de l’activité et une moindre progression sur le plan structural, correspondant à la fenêtre d’opportunité. Cette période de la maladie semble ainsi plus susceptible aux traitements que l’on peut proposer. Toutefois, cette période de meilleure sensibilité aux traitements reste difficile à déterminer à l‘échelon individuel. Des données indiquent également que le processus physiopathologique de la PR démarre avant que la maladie ne soit cliniquement apparente, avec des synovites cliniques. Cela concerne les marqueurs d’auto-immunité, mais aussi les marqueurs de l’inflammation systémique et les cytokines, qui peuvent être positifs ou élevés avant que la PR ne soit déclarée (1). Cela soulève la question du début réel de la maladie et il est considéré qu’il existe une phase débutante qui a reçu dans la littérature une terminologie variable : PR pré-clinique, PR très précoce ou pré-PR. L’EULAR a mandaté un groupe pour uniformiser ces appellations et a ainsi décrit les différentes phases avant que la PR ne soit cliniquement déclarée :
A) phase avec présence de marqueurs génétiques de prédisposition ;
B) phase d’exposition aux facteurs d’environnement ;
C) phase d’auto-immunité avec présence des marqueurs standard de la PR (facteurs rhumatoïdes, anticorps anti-CCP) ;
D) phase avec symptômes sans arthrite clinique ;
E) phase d’arthrite indifférenciée ;
F) phase de PR (Figure 1) (2).


Figure 1
: Les différentes phases précliniques de la polyarthrite rhumatoïde avant que celle-ci ne soit déclarée (d’après Gerlad DM et al. (2)).

Ces différentes phases permettent de modéliser l’histoire naturelle du développement de la PR et, ainsi, de proposer des analyses uniformes sur ces différentes périodes, afin d’explorer et de comprendre les mécanismes sous-jacents. Ainsi, il est désormais bien acquis que les anticorps anti-CCP sont positifs en amont du diagnostic de PR, jusqu’à 10 ans avant celui-ci. Les facteurs rhumatoïdes sont, de même, positifs avant que le diagnostic ne soit retenu. Le risque de développer une PR à 5 ans ou plus tard chez les sujets avec facteurs rhumatoïdes positifs ou anticorps anti-CCP positifs dans la population générale a été estimé entre 1,5 % et 4 % et 5 % et 16 %, respectivement (1). Les anticorps anti-CCP et les facteurs rhumatoïdes ont en effet une valeur prédictive positive pour le développement de la PR de 80 %. Certaines études montrent également un taux de développement de la PR de 40 à 60 % à 2-5 ans chez les sujets anti-CCP positifs. Enfin, les sujets présentant des arthrites indifférenciées développeront une PR dans 30 à 40 % des cas (3). Mais, inversement, 40 % à 50 % de ces patients auront une rémission spontanée. Selon la population analysée et le type d’étude réalisée, la probabilité d’orientation vers une PR diffère donc. Cela souligne l’importance de disposer de facteurs/marqueurs prédictifs de l’évolution vers la PR. Ces derniers ne sont pas uniquement des marqueurs d’auto-immunité, puisque d’autres facteurs cliniques ont été identifiés. L’EULAR a ainsi proposé une définition des sujets avec arthralgies suspectes d’évoluer vers une PR, correspondant à 7 items cliniques (5 items d’histoire clinique et 2 items observés lors de l’examen clinique) qui peuvent être utilisés par le clinicien (Tableau 1) (4). Cela aboutit à l’identification de personnes présentant des anomalies biologiques ou des symptômes à type d’arthralgies avec un risque évolutif vers une PR établie. Cette notion d’identification de personnes à risque (imminent) de PR permet d’envisager des possibilités d’intervention thérapeutique avant que la maladie ne soit enclenchée, c’est-à-dire des mesures préventives (5).


Tableau 1
: Définition EULAR des arthralgies suspectes de progression vers une PR.

Ce dossier thématique est donc consacré à ce cadre de la pré-PR.
• Thierry Schaeverbeke reprend les grandes caractéristiques cliniques, biologiques et en imagerie (IRM, échographie) de la pré-PR, les différentes phases et les mécanismes physiopathologiques sous-jacents.
• Thierry Lequerré aborde la question de la place et de l’intérêt du traitement synthétique conventionnel (cs- DMARD) dans les formes précoces/récentes de PR ou d’arthrites indifférenciées, et notamment celle du méthotrexate avec les données de l’étude PROMPT.
• Enfin, le cadre de la pré-PR permet-il d’envisager une place pour des traitements visant à enrayer le processus évolutif et, donc, à prévenir le développement de la PR ? Quelles sont les données sur ce sujet et avec quel traitement, corticoïdes, csDMARD ou biologique ?
• Ainsi, après la rémission de la maladie comme cible thérapeutique, le traitement de la PR précoce, les essais cliniques avec les nouveaux agents thérapeutiques chez des patients naïfs de csDMARD, nous sommes peut-être, avec la compréhension des mécanismes physiopathologiques sous-jacents, en train d‘aborder une prise en charge de plus en plus précoce et, ainsi, d’envisager une véritable prévention de la maladie.

Références

1- van Steenbergen HW, Huizinga TW, van der Helm-van Mil AH. The preclinical phase of rheumatoid arthritis: what is acknowledged and what needs to be assessed? Arthritis Rheum 2013;65:2219-32.
2- Gerlag DM, Raza K, van Baarsen LG et al. EULAR recommendations for terminology and research in individuals at risk of rheumatoid arthritis: report from the Study Group for Risk Factors for Rheumatoid Arthritis. Ann Rheum Dis 2012;71:638-41.
3- Martins P, Fonseca JE. How to investigate: Pre-clinical rheumatoid arthritis. Best Pract Res Clin Rheumatol 2019:101438.
4- van Steenbergen HW, Aletaha D, Beaart-van de Voorde LJ et al. EULAR definition of arthralgia suspicious for progression to rheumatoid arthritis. Ann Rheum Dis 2017;76:491-6.
5- van Steenbergen HW, da Silva JAP, Huizinga TWJ et al. Preventing progression from arthralgia to arthritis: targeting the right patients. Nat Rev Rheumatol 2018;14:32-41.